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Les buts perdus d’Hatem Ben Arfa

Eurosport, le 29/08/2015 à 16h15

Il y a d’un côté le Ben Arfa qui est. Et de l’autre - toujours à le hanter - le Ben Arfa qui aurait dû être. Samedi dernier contre Caen, les Niçois ont aperçu le génie d’Hatem Arfa. Mais à quel joueur appartient cet exploit, à l’ancien ou au nouveau Hatem Ben Arfa ?

Sur un tertre de béton, au milieu d’une plaine venteuse des bords du Var, un drôle d’édifice était un jour sorti de terre. Fait d’acier, de ciment et recouvert d’une étrange cape grise soutenue par une structure d’acier et de bois, ce bâtiment avait la silhouette lisse et inquiétante d’un avion Airbus, d’un satellite ou peut-être aussi d’un accélérateur à particules.

Son plan ne semblait pas reposer, comme tous les autres, sur une solide dalle de béton rendue à la longue dangereusement friable par la pluie noire qui s’abat parfois dans cette région ou le soleil acide qui y défait, centimètre après centimètre la moindre couleur trop vive, la moindre structure trop fragile. Comme les maquettes homéostatiques de Gaudi, ce bâtiment semblait plutôt accroché au ciel et se tenir droit devant nous, comme défiant ses visiteurs. “Ceci n’est pas un stade, prévenait une pancarte à l’entrée, c’est une foule qui retient son souffle”.

Jusqu’à la semaine dernière, quand on allait dans ce stade, il y avait toujours cette sensation étrange, ce léger trouble au moment de passer les premiers tourniquets, de voir au loin les premiers écrans au-dessus des tribunes. Tout ici était peut-être trop vaste, trop large, trop moderne presque trop propre. Ce n’est pas qu’ils ne l’aimaient pas ce stade, c’est plutôt que cette enceinte si contemporaine n’avait plus rien à voir avec celui qui abritait leurs mémoires. Imaginez un peu. Pour aller au Gym jusque-là, ils ne prenaient pas le bus, à peine la voiture. Ils remontaient à pied l’avenue Boriglione, puis l’avenue du Ray, longeaient le grillage à l’entrée du parking avant d’entrer dans cet édifice désuet comme dans un chantier permanent; jamais vraiment ouvert, jamais vraiment fermé.

Au loin, ils devinaient les collines de leur Parc Chambrun, les reliefs troués de leurs palais méditerranéens qui entourent la ville depuis le début du siècle d’avant. Assis dans la grande tribune, à Nice, on ne rêvait pas alors de stade multifonctions, “d’optimisation des performances basée sur l’analyse du cycle de vie” comme ce stade planté sur la plaine du Var (rebaptisée depuis “Ecovallée”); on rêvait plutôt au jour où l’on aurait enfin le droit d’allumer un fumigène sur l’un de ces balcons plongeant au-dessus de la pelouse du Ray et d’y chanter Nissa La Bella à l’entrée des joueurs, les poils hérissés et des larmes dans les yeux. Le rêve ce n’est pas d’être dans un stade comme dans son salon, mais plutôt d’être dans un salon comme on serait dans son stade.

Samedi dernier, il fallait connaître les paroles (en niçois) pour chanter l’hymne du comté. Il ne fallait pourtant pas être né ici pour y sentir tout à coup ce que la langue locale peut avoir de primitif et d’immédiat, la puissance qu'elle a à exprimer l’âme d’une terre. En dépit de sa proximité avec la frontière italienne, le Nissart ressemble davantage au catalan de Barcelone qu’à l’Italien de Gênes rappelant ainsi l’inscription du Comté dans la culture occitane. C’est un plaisir de ne pas le comprendre, de se laisser entourer par cette fine pellicule de mots, d’accents ronds, de sonorités rocailleuses et d’admirer le mépris complet qu’il affiche pour le parler pointu venu du Nord.

À Nice, bien sûr, on sait parler le français de Paris, mais dans les écoles où l’on suit assidûment des cours de patrimoine, on y apprend que le Nissart est la langue des élus de la terre, des héritiers de Nikaïa, des grecs qui ont fondé cette cité. On y apprend l’italien, certes, parce qu’il faut bien un jour (par semaine) partir à l’étranger (y faire les courses). Mais on y répète surtout cet hymne merveilleux qui n’est ni du Verdi ni du Rouget de Lisle, dont la mélodie se trouve juste à la frontière - comme cette ville - entre le chant de guerre et la comptine populaire. On n’y parle ni de sang ni de femmes, seulement de la beauté des fleurs au printemps, des tuiles sur les toits de Nice, de son ciel d’azur.

" Hatem est à l’écoute"

Samedi dernier, aucun des joueurs ne chanta l’hymne parce qu’ici c’est le public, debout et clairsemé, qui préfère s’en charger lui-même. Sur combien de terrains de France chante-t-on un hymne à la beauté de sa ville avant de jouer au football ? Ceux qui en doutaient en sont désormais certains. Ce culte déraisonnable pour l’observation contemplative de la nature flamboyante de la Méditerranée est sans doute le motif secret qui a convaincu Hatem Ben Arfa - à la surprise générale - d’enfiler le maillot rouge et noir.

Tout bascula à la soixante-septième minute de ce match contre Caen, samedi dernier. Il était 21h21 quand les premiers soubresauts se firent sentir aux alentours d’une ligne de touche, à portée de défense, à l’intérieur d’un espace habituellement réservé aux passes en retrait et aux une-deux un peu faiblards. L’homme qui venait de demander le ballon au petit Koziello s’était avancé au moment de le recevoir. Il était le seul à savoir, quelques secondes avant tous les autres, ce qui bientôt allait se dérouler ici. Hatem tourna son corps tout entier vers le but et, la tête maintenant bien droite, la danse put commencer.

Lors des premières foulées, on ne s’étonna guère. On attendait Hatem Ben Arfa depuis le mois de janvier et ce maudit transfert qui avait échoué. Des légendes racontaient qu’il ne jouerait jamais à l’Allianz Riviera, qu’il avait tellement grossi après ces longs mois sans compétition qu’il était désormais perdu pour le football. On raconta aussi que Claude Puel - qui n’avait pas été capable de convaincre Neal Maupay de lui obéir et condamné par conséquent au banc de touche après sa rébellion- serait bien impuissant devant Hatem Ben Arfa, l’éternel Judas du football français.

En trahissant son talent, il avait trahi au même moment la DTN, Canal Plus, TF1, la FFF, l’OL, l’OM et tous ceux qui auraient été fier de faire de lui l’étendard de la formation à la française, le Gavroche de la sélection, le Messi français. Hatem avait gâché les plans de tous les adultes et contracté une dette avec un pays tout entier qui n’écoutait plus désormais qu’avec sarcasme la moindre de ses bonnes intentions. Il avait été la source dans sa jeunesse de rêveries intempestives, d’agacements répétés. Comme ces gamins qui jettent la nourriture au sol et préfèrent jouer plutôt que de l’ingurgiter docilement, Hatem avait été condamné pour toujours à manger seul à sa table.

" Je remercie toute l’équipe de me faire confiance"

En première mi-temps de ce match-là, il avait, il faut le dire aussi, commencé un peu trop vite, un peu trop fort. À la mi-temps Puel lui avait donc demander de patienter encore. L’ouverture viendrait. Le temps des éclats approcherait. Il suffisait de démarrer un peu plus près des buts adverses et pas du rond central (comme il l’avait fait en première mi-temps). Ainsi, quand il contrôla le ballon en deuxième mi-temps, là où d’autres n’auraient vu qu’un malheureux cul-de-sac, Hatem, lui, observa comme tout à coup une autoroute s’était ouverte devant lui.

Parce qu’il échappe à l’entendement et contredit absolument tout idée de prudence, le génie a toujours quelque chose d’inquiétant. On aimerait comprendre, l’expliquer comme si la poésie pouvait se réduire à des formules mathématiques, comme si le génie était la somme de recommandations successives. En voyant Hatem se défaire de Bessat deux fois de suite - premier démarrage, premier crochet, Hatem s’arrête, Bessat revient, feinte de corps, second démarrage, Bessat passé - les Niçois se souvinrent qu’il valait mieux ne jamais interrompre un soliste en plein récital. Il suffisait pour le comprendre de s’abandonner à la contemplation.

Car le trajet du buteur solitaire est le même que celui du musicien interprétant un chef d’œuvre de Beethoven ou que celui d’un acteur prononçant les deux seuls Alexandrins de la Tragédie de Racine qu’on connaissait depuis le lycée et qu’on était venu, un soir au théâtre, entendre sortir de la bouche d’un autre. Ce qui comptait pour nous, ce dont on parlerait en sortant de la représentation et le souvenir qu’on en garderait pour toujours, serait entièrement contenu dans les quelques secondes qu’aurait duré la prononciation des deux vers qu’on était venu entendre dire comme une vieille chanson d’amour :

Messi et Judas

Alors, s’il y a quelque chose du génie de Leo Messi dans celui d’Hatem Ben Arfa, c’est dans cette façon, sur un ou deux appuis à l’arrêt, de faire voltiger toutes nos idées reçues, celles-là même qui condamnent toujours l’attaquant à la prudence et à la raison. Mais la différence technique c’est que lorsque Messi semble mener sa course tête baissée, presque autiste, Hatem, lui, la mène tambours battants le menton en l’air et le dos bien droit, comme s’il était à la fois acteur et spectateur de son propre exploit. Comme Maradona, en fait, le Ben Arfa argentin.

Voilà la différence entre le hasard et le génie, entre Charles-Edouard Coridon et René Higuita. Si l’exploit de l’un est accidentel et semble frapper son auteur comme une fièvre ensorcelante et passagère, celle de l’autre au contraire est patiente, tempérée, répétée. Après avoir conclu ce trajet par un coup de fouet au-dessus de la tête de Vercoutre (exactement ce qu’il faut faire en angle fermé), Hatem n’était pas euphorique, au contraire. Il semblait soulagé, la mine sincèrement joyeuse, mais jamais hystérique. Il salua les mains qui se tendirent vers lui au moment de remercier le public, puis regagna son poste comme un héros, c’est-à-dire paisiblement.

A la recherche du Ray perdu

Il s’était enfin passé quelque chose dans cette enceinte. À Nice on ne sait pas combien de temps Hatem nous sera laissé mais quand on quitta le stade samedi dernier on vit que quelque chose venait de bouleverser le panorama émotionnel de la ville. Ce stade ne semblait plus grisâtre et ce paysage d’aéroport de campagne avait disparu. Il y avait eu Vic Nurenberg au Ray, il y aurait désormais Hatem Ben Arfa à l’Allianz. Voilà ce que disaient maintenant les anciens qui s’étaient remis à raconter leurs vies. Les plus jeunes, eux, ceux qui n’avaient jamais vu le Ray qu’en ruines ou en vidéo, espéraient secrètement qu’il y aurait un maillot bleu sur le dos d’un Niçois le 8 octobre prochain pour représenter la France contre l’Arménie à l’Allianz Riviera.

C’est ainsi que trois secondes peuvent durer des heures, des jours, des siècles. Il y a des buts qui surprennent et d’autres qui se construisent. Il y a ceux qui prennent à contre-pied et ceux qui viennent à contre-coeur. Ce but de Ben Arfa, lui, était venu à contre-courant. C’était un but contre tous les autres. Contre tous ceux qu’on savait déjà perdus pour lui, pour nous, pour le football. Ceci n’est pas un stade, c’est une foule qui se souvient.

Thibaud Leplat
Eurosport







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Nice - Lorient : 3-0

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Pts J V N D Diff
 3.    Brest 53 30 15 8 7 +15
 4.    Lille 52 29 14 10 5 +18
 5.    Nice 47 29 13 8 8 +9
 6.    Lens 46 30 13 7 10 +7
 7.    Rennes 42 30 11 9 10 +8



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   27e  dim. 31/03 (15h) Nice - Nantes : 1 - 2
   28e  dim. 07/04 (15h) Reims - Nice : 0 - 0
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   29e  mer. 24/04 (21h) Marseille - Nice
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