Portraits :
Yoan Cardinale, ange gardien
Liberation, le 20/04/2017 à 10h26
Le portier de Nice, équipe surprise de Ligue 1, est un Méditerranéen adepte de basket, de télé-réalité et de week-ends shopping.
Yoan Cardinale ne claque pas la bise, il serre la main. Il ne tutoie pas, il dit «Monsieur» au photographe. A 23 ans, dont trois dans le milieu du foot professionnel, le gardien du «Gym» ouvre pour la première fois la porte de son appartement de l’ouest de Nice à des journalistes. Avant, il a envoyé les photos de son chez-lui pour s’assurer que le lieu convienne, a coupé le son de l’écran branché sur de la télé-réalité, a nettoyé sa terrasse, et a enfilé un polo blanc logoté OGC Nice. Pendant, il sert des verres d’eau et du Perrier frais. C’est qu’il aime les choses bien faites. Début 2017, selon l’Observatoire du football, il était le meilleur portier d’Europe ex æquo avec Neuer et Ruffier. «Etre titulaire de cette équipe et jouer la qualification en Ligue des champions ou en Europa League, c’est énorme pour moi. Je ne m’y attendais pas», admet celui qui garde les cages du club azuréen, troisième de Ligue 1 et encore en course pour le titre.
Yoan Cardinale voit le jour en 1994 sur les bords de la Méditerranée. Dix mois plus tard, ses parents prennent sa bouille en photo. Classique. Mais on lui pose «un ballon entre les mains» : «Ma mère dit que j’ai aimé le foot à partir de ce moment-là», raconte le vingtenaire. Si «maman» prend la photo, «papa», menuisier, l’assied devant la télé pour le biberonner de matchs avant de l’inscrire au club du coin l’AS Saint-Cyr «dès l’âge autorisé, à 3 ans et demi». Yoan Cardinale évolue d’abord devant. «J’étais attaquant. Lors d’un tournoi, on n’avait pas de gardien. On se partageait le poste, se rappelle-t-il. Quand mon tour est arrivé, j’ai compris qu’être attaquant n’était pas fait pour moi. Je suis resté dans les cages jusqu’à la fin du match.» Et jusqu’à aujourd’hui.
De bonnes performances en stages de détection, «Cardi» progresse. Un après-midi du printemps 2009, un recruteur de l’OGC Nice prend place dans les gradins. Après dix minutes de jeu, Cardinale dégage, lobe le goal adverse et marque. «Le recruteur m’a dit : "J’ai trouvé un gardien qui fait des arrêts et, en plus, il marque !"», se souvient-il. La magie du football marque une pause. Yoan Cardinale déchante en arrivant à Nice. Dans son groupe des U17, il est 5e gardien. «Je n’étais pas au courant en intégrant le club, c’est le coach qui avait fait cette hiérarchie», explique-t-il.
Croyant, Cardi, qui se signe en entrant sur le terrain et qui porte une croix en or sous son polo, s’en remet au sort. «J’avais la main cassée. En sous-effectif, le coach m’a fait rentrer devant à un quart d’heure de la fin, et j’ai marqué», dit-il en souriant. Mais un but n’a jamais relancé la carrière d’un gardien. Il en faut plus. Un, deux, puis trois blessés parmi les gardiens niçois. Yoan Cardinale se retrouve numéro 2. «Un jour, je suis rentré dans la cage, le coach m’y a laissé.»
Yoan Cardinale lève les yeux. La télé est restée allumée. Il y pose son regard. Loana (la vraie) chante avec Elvis Presley (un faux) sur NRJ12. «J’aime bien la télé-réalité, surtout les Anges et les Marseillais. Ça fait passer le temps», dit-il en souriant après avoir déclaré aimer «à 99 % le foot et à 1 % le basket, surtout les Nets». Cet été d’ailleurs, Yoan emmènera sa «femme» Chloé à New York. Mais, c’est raté pour la NBA, l’équipe de Brooklyn n’étant pas qualifiée pour les play-offs. «J’aime surtout passer du temps avec ma copine. On fait des week-ends à Paris ou à Londres pendant les trêves.» Des loisirs aux photos souvenirs quasi indétectables dans cet appartement moderne et blanc, «à sept minutes» chrono du centre d’entraînement. Il y a bien un maillot encadré dans la cuisine, un trophée sur le frigo, un fanion rouge et noir sur le meuble télé, mais le foot n’étant pas une passion commune au sein du couple, il ne prend pas toute la place.
Chloé gère la déco depuis deux ans. Alors, les maillots sont rangés dans la penderie, les gants relégués au vestiaire. Chloé, Yoan l’a rencontrée le 29 octobre 2015. «C’est un gros tournant dans ma vie. La veille, je jouais mon premier match en Ligue 1», se souvient-il. Ce dimanche-là à Rennes, les deux autres gardiens du Gym étaient blessés. «Il ne restait plus que moi, et ça s’est plutôt bien passé : on a gagné 4-1.» Depuis, Cardinale est «numéro 1». Gagnant «entre 20 000 et 100 000 euros par mois», il doit faire face aux rumeurs d’arrivée de nouveaux portiers, plus âgés, plus expérimentés. «C’est toujours embêtant d’entendre qu’on veut vous remplacer. Alors, j’essaie de faire mon maximum pour prouver aux dirigeants et aux entraîneurs que c’est de moi qu’ils ont besoin, et pas d’un autre.»
Très «embêtant» aussi, les critiques sur son gabarit. S’il reconnaît aimer aller au restaurant, être «compliqué niveau nourriture» et adorer «les lasagnes et les pâtes à la bolognaise», Cardinale (84 kilos pour 1,81 m) veut être jugé uniquement sur ses performances. «C’est énervant de toujours entendre les mêmes choses», dit-il. Des critiques et des rumeurs également balayées par l’entraîneur des gardiens niçois, Lionel Letizi. «Pour moi, la bonne taille, c’est quand les pieds touchent par terre, ironise-t-il. Sérieusement, Yoan prouve tous les jours qu’il a sa place car, techniquement, il est complet. Explosif, il est bon sur sa ligne et excellent dans le jeu au pied.» L’homme est ultra-présent sur le terrain, et dans les vestiaires. «On a besoin de rigoler, de faire des petites conneries. Pour ça, on s’est bien trouvés avec Mario Balotelli. On ne se prend vraiment pas la tête, c’est pour ça qu’on s’entend aussi bien», raconte celui qui se fait régulièrement chambrer par l’Italien sur Instagram.
«Mon gros point fort, c’est ma mentalité que je puise dans l’histoire de mon petit frère», insiste l’Aiglon. Le cadet de la fratrie Cardinale est né avec une malformation de l’estomac et il «devait mourir, avant d’être sauvé miraculeusement». «On a vécu des moments très difficiles, dit-il. J’ai vu ma famille dans des états compliqués.» Aujourd’hui, son frère guéri est devenu lui aussi gardien (amateur). Yoan Cardinale est parrain de l’association le Point rose, qui accompagne les familles et les enfants dans les soins palliatifs pédiatriques. «Quand je suis dans la cage, j’ai l’impression de me battre pour deux. J’ai l’énergie de mon petit frère.» Un logo rose et un engagement fort qu’il porte jusque sur ses maillots, son poignet et qu’il a accroché au luminaire du salon. Cette déco-là, Chloé, qui a arrêté ses études, l’a bien voulue. «Yoan, c’est un garçon simple, qui sait d’où il vient», glisse-t-elle entre deux tentatives de déconcentration de Cardi lors de la séance photo. Comme dans ses cages, il reste imperturbable devant l’objectif. L’appareil rangé, le gardien s’affale dans son canapé et embrasse Chloé. Il attrape la télécommande sans éteindre l’écran. L’épisode des Anges n’est pas terminé.
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