Cohen, l'appelé du 17 juin...

Voilà trois mois que Maurice Cohen, patron d'une entreprise de communication, s'est retrouvé propulsé à la tête de l'OGC Nice. Banni du club trois ans plus tôt et devenu homme clé du sauvetage, ii savoure sans forfanterie ce retournement de situation.

L'homme n'est sans doute pas suffisamment retors, ni rancunier pour avoir éprouvé une douce jubilation vengeresse. Il n'empêche. Lorsque, le 17 juin dernier, Jean-Luc Bailet, directeur administratif de l'OGC Nice, l'a joint par téléphone pour lui demander de sauver le club, avec, en bruit de fond, des personnels en pleurs, catastrophés par le spectre de la rétrogradation, peut-être Maurice Cohen, quarante-sept ans, n'a-t-il pu réprimer un bref rictus de contentement.
Lui, l'ancien banni, rappelé pour endosser les habits de sauveur quelques heures à peine avant de passer devant la Direction Nationale du Contrôle de Gestion (DNCG), voilà qui ne manquait pas de saveur. Car comment aurait-il pu oublier les vexations passées ?

Quelques années auparavant, en mai 1999 très exactement, il avait été contraint de quitter le club sous une pluie de crachats et une bordée d'insultes émanant d'une frange de supporters commandités par l'ancienne direction. « Je sais qui m'avait envoyé ce comité d'accueil pas tout à fait spontané. Je n'étais pas dupe de la manipulation, mais il en faut plus pour me décourager. »

Arrivé en 1995 pour la mise en place du centre de formation, il avait occupé les fonctions de président de l'association de l'OGCN, gérant l'ensemble du secteur amateur. Une place et un rôle jugés finalement trop encombrants par le clan italien intronisé entre-temps. « A leur arrivée, confie Maurice Cohen, tout le monde était fou de joie de voir la Roma en place à Nice. Le problème, c'est que ces gens là sont venus avec des pratiques très particulières, notamment Primo Salvi. Lorsqu'il m'a dit: " Moi, je suis comme Hitler, je viens mettre de l'ordre ", j'ai tout de suite compris que le club se trouvait entre de sales mains. »

« D'UNE DROITURE ET D'UNE HONNÊTETÉ SANS FAILLE. »
Ecarté sans ménagement, Maurice Cohen n'abdiqua pas complètement. Il se tint paisiblement à l'écart; une patience née sans doute de l'effarant turnover constaté chez les présidents du cru : sept en cinq ans! Averti des difficultés financières rencontrées par les repreneurs successifs, ce PDG d'une agence de communication installée à Monaco continua même à tenter de réunir un tour de table afin d'intervenir lors de l'éventuelle reprise du club.
« Je voulais juste aider, accompagner une reprise. Jamais je n'aurais imaginé devenir un jour président. Mon nom n'a, de toute façon, été avancé qu'en toute hâte, après une ultime réunion dans un petit bistrot avec mes collègues repreneurs, juste avant d'entrer en séance devant la DNCG. »

C'est en sa qualité de représentant d'un pool d'investisseurs locaux - Gilbert Stellardo, Marcel Governatori, Louis Bacchialoni et Jean Bessis -, qui avait réussi à collecter quelque 2 M€, qu'il fut donc sollicité en juin dernier pour monter un dossier de reprise susceptible de sauver le club de la rétrogradation. Ce qu'il réussit en deux temps. Après « l'échec prévisible » rencontré devant la DNCG en juin, il s'en sortit lors de la session de rattrapage devant le conseil fédéral un mois plus tard. L'OGCN sauvé, il pouvait alors officiellement prendre le titre de président qui tendait les bras depuis quelque temps déjà. Opiniâtre et persévérant, Maurice Cohen pouvait difficilement jouer les effarouchés lorsqu'il lui fut demandé de voler au secours d'un club qu'il chérit depuis sa tendre enfance. Même s'il est né à Rabat, au Maroc, il est en effet arrivé à Nice dès l'âge de trois ans pour ne plus jamais quitter l'endroit. Fidèle du stade du Ray durant toute sa jeunesse, il a pourtant effectué l'ensemble de son apprentissage et de son éducation tactique au club rival du Cavigal. Joueur, entraîneur des équipes jeunes (dont celle qui comptait dans ses rangs un certain Erie Roy, voilà plus de vingt ans), dirigeant et enfin président général de ce club omnisports, en charge de la section basket au cours des deux dernières années, Maurice Cohen bénéficiait d'un cursus ad hoc pour prétendre jouer les capitaines de l'OGCN.
Roger Ricort, un de ses fidèles amis, rentré d'ailleurs au club voilà peu, confirme le profil: « Après l'épisode des Italiens, qui avaient trop souvent confondu le rôle de président avec celui d'agent de joueurs, je crois que l'OGCN avait vraiment besoin de ce type de personnage. Non seulement il est d'une droiture et d'une honnêteté sans faille (lui ne prendra jamais un centime dans les caisses !) mais, en plus, il a vraiment ce club dans les tripes. Il ne faut pas oublier qu'il est resté plusieurs fois au portillon de l'OGCN sans jamais renoncer à le soutenir. Ce n'est pas un calculateur, juste un persévérant qui n'acceptait pas de voir mourir son club sans rien faire. A ma connaissance, c'est certainement, dans la région, l'une des seules personnes capables de renouer les liens un peu distendus au sein du club. »

MEMBRE DU CONSEIL ÉCONOMIQUE ET SOCIAL DE MONACO.
Depuis qu'il a accepté sa mission, Maurice Cohen accumule les heures sup.
Bénévole (« C'est la garantie de mon indépendance »), c'est dans les bureaux des Aiglons qu'il a passé ses vacances en juillet-août afin de parer au plus pressé. Depuis, il multiplie les allers-retours entre Monaco, où il continue de travailler le matin pour sa société Média Plus, spécialisée dans l'événementiel, et Nice, où il enfile, chaque après-midi, son costume de président de l'OGCN. Une double vie que l'intéressé savoure. « Même si cela occasionne un emploi du temps délicat à gérer, je m'adapte. Notre début de saison un peu euphorique me sert de dynamisant.
Arrivé au moment où le club se lance dans une phase de reconstruction indispensable après les dégâts collatéraux causés par la gestion hasardeuse de ses devanciers, Maurice Cohen est conscient de l'ampleur de sa tâche. « C'est un peu l'année zéro pour ce club qui a failli mourir. Aujourd'hui, en termes d'infrastructures, nous sommes proches du désert. Mais j'aimerais que l'on se professionnalise vite et, surtout, que le club fédère les envies plutôt que d'attiser les querelles. Le passé récent a fait beaucoup de dégâts, mais je ne veux plus en entendre parler. Même s'il existe encore au sein de l'OGCN des personnes qui m'ont combattu, je ne souhaite pas jouer les coupeurs de têtes. Je ne suis pas venu pour régler des comptes, mais pour aider mon club à revivre. Toutefois, je n'accepterai pas que l'on vienne me gêner dans la mise en place de notre projet sportif, qui s'étale sur trois ans»

« Son arrivée, c'est ce qu'attendaient certainement depuis des mois des Niçois qui ne comprenaient plus rien à leur club, commente en écho Ricort. Il fallait absolument un président du cru afin de redonner une identité locale à ce club. Pendant trop longtemps, on s'est servi sur son dos. Maurice Cohen est certainement moins riche que Franco Sensi (NDLR : patron de l'AS Roma et ancien propriétaire de l'OGC Nice), mais lui n'a jamais fait de l'OGCN une histoire d'argent, simplement de coeur. Il ne faut pas se fier aux apparences: c'est vrai qu'il a un profil assez rare pour la région, puisqu'il n'élève jamais la voix Mais ce calme est aussi un déterminé. » Sous ses dehors policés, l'intronisé, accessoirement membre du Conseil économique et social de la principauté de Monaco, sait apparemment résister à la pression. Dans l'allégresse générale qui a suivi la victoire face à Marseille (2-0, le 11 septembre, 6e j.), il a douché l'euphorie ambiante en refusant la double prime réclamée bruyamment par les joueurs. Comme un bizutage passé sans encombre...